20 heures, la vue des Ragged Island nous ravie. La nuit tombe et nous devons faire vite afin de nous faufiler entre ces hauts fonds rendant si particulière l’approche des côtes bahaméennes. La météo est assez capricieuse mais les cayes découpées offre aux navigateurs de nombreux abris. Nous jugeons l’axe de la houle qui s’enroule sur la pointe sud, la direction du vent, les bancs de sable pour finalement atterrir proche d’une de ces plages paradisiaques dont l’archipel à sa recette propre. Le mouillage se fait dans 2,50 m d’eau, nous sommes à marée basse, on est large !
Durant notre premier périple dans cette région du globe, il ne nous est arrivé que très rarement de poser la pioche dans plus de 4 mètres d’eau. Il faut se rendre compte que l’archipel des Bahamas est un gigantesque univers de sable et herbiers dont la profondeur oscille entre 10 cm et 5 mètres si ce n’est à l’approche des tombants plongeants dans les abysses de l’océan atlantique. A plusieurs reprises nous avons navigué sur plus de 50 miles sans que le sondeur n’affiche plus de 4 mètres. Situation stressante pour toute personne connaissant la mer, cela devient un met apaisant quand elle se familiarise avec la région. Il faudrait une tempête sur ces zones avant de voir s’élever à la proue du navire une vague effleurant le davier d’étrave, un vent de 15/20 nds soulèvent avec peine un clapot de 60 cm…


La nuit fut bonne, le vent toujours présent le lendemain matin au réveil. Un gros petit dèj et l’on part avaler la dizaine de miles qui nous sépare de la baie abritant le village de Duncan Town située sur l’ile principale de ce collier d’îles. C’est marrée basse, il va falloir slalomer car nous préférons contourner par l’intérieur et bénéficier ainsi de la protection du large par les ilots. Un slalome par ci, une marche arrière par la, oups, ça remonte. On sert les fesses, 10 cm sous la quille par moment cela ne laisse pas beaucoup de marge, mais nous avons le temps et, équipé de lunettes polarisées, il en devient un jeu de trouver le meilleur passage. Puis, les fonds s’affaissent, nous voila rentrés dans la baie. Nous sommes bien les seuls, rien d’étonnant à cette saison de l’année.

Avec un point culminant à 63 mètres sur un ensemble de 700 îles et 2300 ilots, on comprendra que les Bahamas ne sont pas une zone ou les voileux des caraïbes viennent passer la saison cyclonique même si, protégé par Cuba, les ouragans n’y passent que très exceptionnellement. Pour éviter cette saison tapageuse, nous avions prévu de séjourner sur Cuba, mais comme vous avez pu le lire, on préfère somme toute un coup de poker ici en mettant toute les conditions de sécurité de notre coté que de rester dans ce pays si inhospitalier. Nous devons au plus rapidement nous positionner à moins de 24 heures de navigation d’une marina protégée. Nous avons établi une carte à cet effet. Y sont représentées toutes les marinas susceptibles « d’encaisser » un cyclone avec le rayonnement possible de nos fameuses 24 heures. Certains voileux nous demandent avec stupeur ce que nous faisons encore ici à cette période, certainement ignorent-ils que de nombreux bateaux hivernent en marina aux Bahamas. De cette caractéristique quelque peu inquiétante, nous en tirons aussi le plus grand bénéfice : nous sommes seuls, et je ne pense pas que cela change durant tout le mois et demi à venir. Alors que plus de 16 000 bateaux passent aux Bahamas durant la seule période du mois de mai, un seule se trouve aux Ragged, le notre et c’est le pied ! Florinda nous le dira : « oui les bateaux viennent nous voir ici, dans cette baie, c’est 20 yatchs qui sont mouillés à la saison... ! »
La baie est magnifique, protégée du large par Ragged Island et Hog Cay. Le rapprochement de ces deux îles forme une passe au milieu de laquelle baigne un ilot bordé de quelques récifs. Nous retrouvons une connexion internet à bord, de nombreux coup de fil à passer et des chamboulements dans mon travail vont m’y accrocher de longues, très longues heures. Une fois ce cyclone administratif avalé, il est temps de profiter de ce que cet archipel nous offre. Sable blanc, eau cristaline, recherche de conchs pour le diner, farniente et photos.




Régulièrement de petites embarcations de pêche nous croisent, les bras se lèvent et les sourires sont là, pas de doute nous sommes aux Bahamas. Les noirs ont cette chance déconcertante pour le tout blanc que je suis de pouvoir vous afficher leur contentement à plus de 100 mètres de distance, il est aisé de voir qu’ils nous sourient grâce au contraste de la blancheur de leurs dents sur leur peau mate ! J’en fait de même mais je me doute que le résultat reste sans équivoque. La journée se dissipera aussi vite qu’une vapeur d’essence. Que le temps est bon ici. Il est temps d’aller se reposer, le lendemain une nav de 70 miles nous attend, gros vent et houle de face.
Lendemain matin, enracinés à cette atmosphère cotonneuse, nous repoussons en toute logique notre départ. « Passons la journée ici, j’ai pensé à une nouvelle route. » Après deux nouvelles heures passées sur l’ordi pour le boulot, armés d’appareils photos et de nos 30 derniers dollars (il nous est impossible de retirer avant notre arrivée sur Georgetown) nous partons à la conquête de la grande ville.
Bourgade surpeuplée de 65 habitants, Duncan Town est forcément un hameau paisible. La première personne que l’on y croise nous appelle de loin, le contact est facile aux Bahamas. Berçant un enfant dans ses bras, elle converse à l’ombre d’une volière (où s’entassent mille et un pigeons aussi gras que des plaquettes de beurre) avec une mamie assise au volant de sa golf car. Elle s’appelle Florinda, est originaire de l’île et y a passé la grande majorité de sa vie.

En milieu de discussion nous demandons s’il existe un commerçant sur l’île. N’y une n’y deux, Florinda au volant de sa golf car sera notre taxi visite. Inutile de proposer quoi que ce soit en échange, tout est fait de bon coeur ici. Elle nous parle un peu de sa vie, de son île et entre de grands éclats de rire, nous indique de son doigt, les différents propriétaires de maison. Sa tante, sa jumelle, le fils de celui qu’on vient de croiser s’en allant pêcher, bref tous voisins-familles quoi. On s’arrête devant une maison baignée d’une odeur suspecte. Sur des files sont suspendus des conchs . Les corps flasques des mollusques sèchent au soleil, plus tard ils seront destinés aux assiettes d’asiatiques gourmands.

Notre chauffeurs appelle en criant, rien ne sert de sortir de voiture quand la voix peu suffire... Et quelle voix ! Quelques minutes de plus, le temps de sortir du bain et de s’habiller, une femme nous ouvre la porte. Bienvenue au food shop des Ragged Island. On y prendra une douzaine d’oeufs, 5,80$ et une boite de betteraves, 2,30$. Il nous reste donc un peu plus de 20$… Nous avons demandé par ailleurs la direction du bar de la ville, bien entendu Flo tient à nous y conduire. On s’arrête en chemin devant une case ou est garé un gros pick up rouge pour crier un coup et repartons aussi sec. Quelques secondes après, le même véhicule nous dépasse pour stopper sa course juste devant nous. Une femme en descend, c’est la nièce de Flo, la tenancière du bar, elle ouvrira pour nous… On y retrouve la tradition culinaire américaine, le fameux burgers accompagné de bières fraiches. On apprécie la cuisine tout en sachant que, bien vite, on pestera sur ce sandwich, quasi seul nourriture servie en restaurant. Le coté culinaire pour les français que nous sommes est bien le seul bémol à reprocher à la région. Car oui, de ce qu’il m’a été offert de voir du globe jusqu’a présent, si le paradis est sur terre, ben on y mange des burgers !

Rassasiés, quelques 7 dollars restants en poche, nous partons flâner les alentours de ce bourg aux allures très… calmes. On y croise quasi personne à part le pêcheur que nous avions vu hier en mer. A l’ombre d’un tamarinier, il s’évertue à faire couler le temps et sieste, le corps allongé dans un filet de pêche reconditionné en hamac, un large spliff roulé dans une feuille de cigare aux doigts. Nous passerons devant une des autres économies de l’ile, le sel. Les marées salants sont magnifiques. D’un rose éclatant, ils contrastent avec le ciel bleu et la végétation. La vue d’en haut doit valoir le coup, mais trop de vent aujourd’hui pour faire voler le drone.
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La cour d'école primaire de Duncan Town. |
Nous rentrons au bateau par un canal creusé au coeur de la mangrove. Il se déverse dans la baie.
Nous devons pêcher pour le dîner. D’un petit tour d’annexe nous ramenons les conchs nécessaires pour la salade ce soir et le carry pour la nav de demain… La nuit tombe, s’en est fini des Ragged. Le passage aura été très bref, mais nous ne manquerons pas d’y retourner si l’occasion se présente…
Alex